L'échec politique du Forum civil Euromed
(Marseille 3-4 Novembre 2008)
Par Amir Makhoul (7 novembre 2008)
En tant que co-fondateur de la Plateforme non gouvernementale Euromed, et parce que j'ai participé activement à sa construction et encouragé sa création en 2002, je peux dire que j'ai été très déçu par la Déclaration finale et le Programme d'action adoptés par le Forum à Marseille les 3-4 novembre.
J'ai été stupéfait de constater l'appauvrissement de l'expression politique du Forum sur la question centrale de la Palestine, y compris sur le problème des réfugiés palestiniens et du droit au retour. Ce fut encore plus choquant de constater qu'étaient absentes les questions du siège de Gaza, - ce crime commis par Israël et les autres pays monde - , du
mur de sécurité
sioniste qui institue l'apartheid, isole et divise le peuple de Palestine sur sa propre terre, qu'étaient aussi omis les problèmes des 11500 prisonniers politiques palestiniens qui croupissent dans les geôles israéliennes et la manière dont Israël érige en délit toute tentative d'établir un lien entre les Palestiniens de l'intérieur et ceux de la diaspora, et même entre les Palestiniens qui vivent en Palestine (Gaza, Jérusalem, les zones de 1948 et la Cisjordanie.) Toutes ces questions ont été
oubliées
dans le Forum civil et englobées sous l'appellation :
Circuler et vivre ensemble dans l'espace Euromed.
Comment des représentants de la société civile ont-ils pu adopter une telle Déclaration, dont le ton et le langage sont plus appropriés à l'expression de la politique d'Israël et de son président Shimon Peres (celui qui a lancé le plan d'armement nucléaire d'Israël et fut responsable du massacre de Qana au Liban en 1996), qui jugerait une telle Déclaration suffisamment modérée !
Sur quelle base la Déclaration entend-elle appeler à l'indépendance de la société civile si la Plateforme adopte la voix du gouvernement ? Paradoxalement, dans certains cas, on a l'impression que la voix de la société civile est plus gouvernementale que celle des gouvernements et plus diplomatique que celle des diplomates ! Quoi qu'il en soit, quelle est la nécessité politique de cette Plateforme et du Forum civil s'ils ne tentent pas d'influencer les priorités de la société civile ? Que peuvent attendre les réfugiés palestiniens de cette Plateforme alors qu'elle ne parle pas de leur droit au retour sur leurs terres et leurs propriétés, celles de la Palestine historique ?
Avant que je n'en vienne à la façon dont la question de la Palestine a été reléguée au second plan, je dois dire que le langage employé en Europe en ce qui concerne l'immigration ignore les causes historiques fondamentales : je veux parler de l'héritage colonial des Etats européens dans les pays arabes. La responsabilité européenne n'est pas seulement fondée sur les valeurs que représentent les droits de l'homme. En particulier, l'une des raisons de la richesse de l'Europe est la colonisation passée de l'Afrique, des régions arabes et du monde entier. L'Europe doit obligatoirement assumer sa responsabilité historique dans le sous-développement qu'elle a imposé au Sud. La société civile est censée réclamer la justice historique et des compensations pour l'injustice coloniale. Bien sûr que les régimes arabes sont responsables mais cela ne supprime pas les raisons historiques fondamentales. Alors, est-ce que le Forum considère que la société civile est un acteur se situant dans le cadre gouvernemental ou agissant comme entité indépendante ?
Nous avons constaté avec horreur combien la voix indépendante de la société civile avait perdu son ardeur et en conséquence je demande instamment à toutes les organisations de la société civile d'exhorter la présidence de l'UE et tous les gouvernements de l'UE de cesser totalement de collaborer à la mise en place de la stratégie Israélo-américaine dans la région et à respecter les résultats des élections au Conseil législatif palestinien, issu du vote de la communauté palestinienne en Cisjordanie et à Gaza. L'UE ne doit pas devenir un partenaire dans la perpétration du crime collectif contre la population palestinienne de Gaza.
Que veut dire la Déclaration lorsqu'elle affirme :
Nous appelons la communauté internationale, et en particulier l’Union Européenne, à faire appliquer d’urgence les résolutions des Nations Unies.
Est-ce là
Où sont les paroles que la société civile arabe devrait être la première à prononcer afin de condamner Israël, pas les Palestiniens, et de boycotter Israël en tant qu'entité coloniale raciste ? Où sont les paroles qui expriment un engagement responsable, solidaire des mouvements qui à travers le monde apportent leur soutien à la Palestine, à une juste paix, et s'opposent au siège de Gaza ?
Dans le 2ème paragraphe, la Déclaration dit ceci :
Ces valeurs (celles contenues dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme) sont des normes universelles que chaque peuple est en droit d’attendre et dont tous et toutes doivent bénéficier. Leur ignorance ou leur affaiblissement, au nord comme au sud de la Méditerranée, ne font que renforcer les dictatures, les pires injustices comme la violence aveugle.
A nouveau le problème réside en ce qui n'est pas mentionné. Israël n'est pas considéré comme une dictature mais comme une
démocratie occidentale
alors qu'il est responsable d'une guerre continuelle depuis 60 ans, de crimes racistes et de violations des droits de l'homme. Cet aspect, qui représente l'influence la plus négative dans le processus Euromed, n'est pas mentionné.
Le 4ème paragraphe déclare :
Ceci suppose que chaque État soit reconnu dans ses frontières.
Comment cela s'applique-t-il à la Palestine et à l'occupation Israélienne ? Cette formulation ne signifie en aucune façon le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. En outre, une telle position s'oppose par définition au droit au retour des Palestiniens dans leur patrie, leurs domiciles et leurs terres. Mais il y a plus grave : parler des
frontières des États
, c'est s'exprimer comme les gouvernements, alors qu'on attend de la société civile, c'est dans son essence, qu'elle revendique des droits — et dans ce contexte les droits du peuple.
Je suppose que certains collègues vont contester cette critique et soutenir que Gaza et
l'occupation coloniale
figurent bien dans la Déclaration, mais en fait les deux sujets sont mentionnés dans un contexte plus vaste et les questions du
Mur
et du droit au retour des réfugiés palestiniens sont écartées. Tout ce qui est dit ne se situe pas dans le cadre du Programme d'action : cela signifie qu'il ne s'agit pas de questions centrales qui nécessitent des prolongements.
En me fondant sur ce que j'ai expliqué ci-dessus, je pense que la Déclaration reflète des considérations politiques totalement étrangères à l'indépendance de la société civile. En tant que co-fondateur de la Plateforme, j'observe que les changements structurels imposés à la Plateforme par l'affaiblissement de ses positions, de sa représentation, de l'impact politique de ses réseaux nationaux (en particulier de la représentation palestinienne) et le fait de réorienter la Plateforme vers les thématiques de l'UE, se répercutent très clairement dans les résultats du Forum civique de Marseille de 2008. Je crois aussi que cette Déclaration doit particulièrement inciter les structures de la société civile à reconsidérer la nécessité de la Plateforme.
Amir Makhoul est Secrétaire général d’Ittijah
Union des associations locales arabes (Palestine 48)