Il n'y aura pas d'État palestinien, mais la décomposition pour tous les peuples de la région
Par François Lazar (28 avril 2011)
Dans la même veine que ses prédécesseurs, Alain Juppé, Ministre français des Affaires étrangères, vient à son tour de faire une déclaration favorable à la constitution d'un
État Palestinien
. Il a en effet annoncé lors d'un colloque le 16 juin que
les aspirations du peuple palestinien ne sont pas moins légitimes que celles des autres peuples de la rive sud. Israël, pour sa part, a le droit de vivre en sécurité et en paix. C’est pourquoi, au cours des prochains mois, l’idée d’un État palestinien démocratique, viable, continu, vivant en paix et en sécurité aux côtés de l’État d’Israël, doit quitter le registre de l’incantation pour devenir une réalité (...)
. Il y a un peu plus d'un an, en février 2010, Bernard Kouchner considérait comme étant possible la constitution
rapide
d'un État palestinien, mettant en avant la constitution d'une police palestinienne et l'aide économique de l'Union Européenne (on sait qu’il s’agit de la constitution de zones économiques spéciales totalement déréglementées). Au mépris d'une réalité qui voit chaque jour s'incruster un peu plus l'emprise israélienne sur des terres encore palestiniennes, qui voit se commettre quotidiennement des meurtres, exactions, humiliations sur des femmes, hommes, enfants palestiniens, tous les ministres et chef d'État se succèdent pour parler d'espoir et d'égalité.
Le contenu de l'État que défend Mahmoud Abbas, président non élu de l'Autorité Palestinienne dans ses visites diplomatiques demeure celui d'un l'État carcéral et policier. Carcéral parce qu'entouré en grande partie d'un mur, haut de huit mètres, de barrages, checkpoints militaires infranchissables. Policier, parce que pour contenir les aspirations au retour des réfugiés, à la liberté et à l'égalité des droits de la population palestinienne de Cisjordanie, incompatibles avec l'existence d'un État israélien raciste et prédateur, les États Unis et l'Union Européenne ont doté l'Autorité Palestinienne d'une police suréquipée dont la fonction essentielle de supplétive de l'armée israélienne est de protéger l'occupant contre toute révolte ou protestation de l'occupé. L'État dont on nous parle pourrait ne pas intégrer la Bande de Gaza, soumise au contrôle du Hamas, dont la seule revendication est de diriger l'Autorité Palestinienne à la place de la direction corrompue du Fatah. Avec ou sans la Bande de Gaza, il serait — cas unique au Monde — sans contiguïté géographique.
Quant aux palestiniens de l'intérieur, soumis à une ségrégation raciale et sociale profonde ils n'existent pas pour les Obama-Juppé-Kouchner. Un État sans aéroport, un État sans souveraineté, un État
archipel
, constitué de bantoustans comme autant d'îlots sans contiguïté géographique n'est pas un État. Sa proclamation aurait cependant plusieurs objectifs : premièrement, maintenir en place le regroupement quasi mafieux et soutenu par le FMI et l'Union Européenne qui est actuellement au pouvoir à Ramallah ; deuxièmement, en finir
officiellement
avec l'unité du peuple palestinien, où qu'il se trouve en dénonçant la revendication du droit au retour et troisièmement, préserver l'État d'Israël. Ce dernier point nécessite un éclaircissement. L'État d'Israël, dans un Moyen Orient imprévisible et instable du point de vue de l'impérialisme, n'est pas seulement un facteur d'ordre. Il représente la pointe avancée régionale d'une société fondée sur la propriété privée des moyens de production, dont les connexions avec l'économie et la classe politique américaine sont devenues inextricables. Confronté aux révoltes et révolutions dans les pays arabes — expressions régionales d’un mouvement universel contre l’oppression et l’exploitation — l’État d’Israël, considéré par les peuples arabes et à juste titre comme le principal bras armé américain dans la région, se trouve ébranlé. Il n’en demeure que plus dangereux, pour ses voisins, comme pour les populations juives qui y vivent. Le problème est qu’Israël ne peut s’auto-transformer dans le cadre du sionisme... et que le sionisme, c’est Israël.
Mahmoud Abbas, flanqué de son premier ministre Salam Fayyad, ancien haut cadre du FMI qui n'a jamais changé de commanditaire n'agit pas sans un accord précis de la Maison Blanche. Agent direct de l'impérialisme américain, il n'a pas cette marge de manoeuvre. Le Hamas, qui trouve l’essentiel de sa force dans l’isolement de la Bande de Gaza demeure l’épouvantail préféré des israéliens. Netanyahou, premier ministre israélien qui prépare un voyage à Washington pour dénoncer toute reconnaissance unilatérale d'un État Palestinien, invoque le non aboutissement d'un
processus de paix
qui n'a jamais existé et ne veut pas se démarquer des colons sionistes... dont il est le représentant. Obama, confronté au rapprochement de l'échéance des élections présidentielles américaines ne peut pas se permettre de parler de reprise de négociations qui au mieux n'aboutiront jamais à rien d'autre qu'un statu quo provisoire. Non seulement l’impasse est totale, mais l'État Israélien, fondé sur la négation de l'existence du peuple palestinien apparaît de plus en plus aux yeux du monde entier pour ce qu'il a toujours été : un État de type colonial, un corps étranger dans la région, un fauteur de guerre.
Ici apparaît une question majeure : en quoi les aspirations démocratiques fondamentales du peuple palestinien seraient elles incompatibles avec les aspirations des populations juives à vivre dans la région?
En Tunisie, en Égypte, les régimes des Ben Ali - Moubarak (régimes corrompus et tortionnaires fondés sur le pillage des peuples pour le compte des multinationales) trouvaient leur justification comme étant des remparts à
l'islamisme
. Pour les dirigeants de ce monde, toutes les justifications sont valables lorsqu'il s'agit de défendre leurs intérêts et profits. Les médias aux ordres se sont depuis longtemps spécialisés pour répondre à cette nécessité politique.
L'
État palestinien
n'est conçu que pour permettre le maintien d'un État israélien, qui lui existe bien et dans lequel une part grandissante des populations juives se trouve plongée dans la pauvreté et les pires incertitudes
L'
État palestinien
n'est conçu que pour permettre le maintien d'un État israélien, qui lui existe bien et dans lequel une part grandissante des populations juives se trouve plongée dans la pauvreté et les pires incertitudes. La démocratie et l'égalité des droits ne sont pas divisibles. Le principal obstacle à l'établissement d'un seul État démocratique et laïque sur toute la surface historique de la Palestine, seul cadre dans lequel pourraient vivre à égalité toutes les composantes de la région se trouve dans la perpétuation d'un mode de production failli, celui du capitalisme, dont un des fondements est de faire croire aux peuples qu'ils sont liés aux intérêts de leur classe dirigeante. La révolution menée par le peuple tunisien, la mobilisation révolutionnaire du peuple égyptien démontrent une fois de plus toute la foutaise de cette vision esclavagiste, dont le but est de diviser les peuples entre eux pour le plus grand profit d'une poignée de voleurs.