A propos de la reconnaissance de l’État palestinien
Par François Lazar, le 5 décembre 2014
A la suite de la Suède, des parlements britannique et de l'État espagnol, l'Assemblée nationale française a adopté, le 2 décembre dernier, une résolution reconnaissant un
État palestinien
sur les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem Est pour capitale. Ces initiatives sont présentées comme des tentatives positives de stabiliser une situation chaotique. S’agit-il cependant de cela ?
Ces décisions ont pu être regardées comme une victoire par certains. Il est vrai quelles arrivent au terme d’une offensive de 51 jours, particulièrement barbare, contre la population de Gaza cet été ; offensive marquée par l’ampleur des destructions, le nombre des morts, mais aussi par la résistance acharnée de tout le peuple palestinien et par le rejet croissant de l’image de l’État d’Israël dans l’opinion publique internationale.
Dans l’État espagnol, le 18 novembre le parlement a décidé de demander au gouvernement qu’il reconnaisse l'État palestinien lorsqu’il jugera cela opportun. La proposition non de loi [c'est-à dire qui n'émane pas de l'exécutif et n'engage pas le gouvernement] adoptée demandait en effet au gouvernement de rechercher dans toute démarche en ce sens une action coordonnée, de concert avec la communauté internationale et en particulier avec l'Union européenne, prenant pleinement en compte les légitimes préoccupations, intérêts et aspirations de l'État d'Israël . C'est-à-dire que la relation avec les Palestiniens est ici subordonnée aux intérêts et aspirations des dirigeants de l’Etat israélien, cela au moment où le gouvernement Rajoy vient de lever l'embargo aux exportations d'armes vers Israël.
Il y a de nombreux points communs dans les débats parlementaires qui ont précédé les votes dans ces pays. Il y a d’abord l’insistance à vouloir reconnaître un
Etat palestinien
, sans que personne, pas un seul député, ne soit capable de dire à quoi pourrait ressembler un tel Etat au terme d'une période de négociation. Cela en dit long sur le contenu de la manoeuvre. Faut il mettre en rapport cette insistance à vouloir reconnaître un
Etat palestinien
qui n’existera certainement jamais, avec la crise sans précédent qui secoue les bases mêmes de l’État israélien en interne, comme parmi ses soutiens traditionnels ?
On a noté pendant l’été des prises de position extrêmement critiques en provenance de milieux juifs, notamment Nord-Américains. Un sondage récent publié vendredi 5 décembre par la Brookings Institution, allant dans le sens de ce constat, affirme que
la solution d’un seul Etat au conflit trouve un soutien croissant aux États-unis
. Un peu plus des deux tiers des sondés se disent prêts à soutenir un seul Etat démocratique dans le cas où une solution à deux États s’affirmerait non viable. Le même sondage montre que
seulement 24% des répondants disent « accorder une préférence au caractère Juif d’Israël plutôt qu’à sa démocratie
. Le même sondage montre une opposition grandissante des américains ( 67%) aux constructions d’implantations israéliennes en Cisjordanie. Cette publication très largement reproduite dans la presse américaine arrive au moment où la coalition gouvernementale israélienne s’est effondrée la semaine dernière en raison des tensions causées par la volonté du premier ministre Netanyahou d’affirmer l’identité de l’État d’Israël comme un
État Juif
. Regardons à présent de plus près le débat parlementaire en France. Il convient avant tout de noter que, bien que le texte n’est été voté que par les partis de
gauche
, le Parti Socialiste, le Parti Communiste, les Verts, les Radicaux, le débat parlementaire a été très consensuel sur un point crucial, résumé par le député du
Front de Gauche
François Asensi : dans l'État d'Israël,
des centaines d’intellectuels, de hauts gradés, de militants de la paix ont compris que la création d’un État palestinien indépendant et démocratique était le plus sûr gage pour la sécurité d’Israël, à laquelle nous sommes attachés.
Cet élément revient largement. L'État palestinien est le meilleur gage pour assurer la sécurité de l'État d'Israël, conformément à
l'esprit
des accords d'Oslo auquel les dirigeants du PS et du PCF (comme de la droite) se disent tous attachés. Rappelons que les accords d'Oslo, qui ont conduit à la création de l'Autorité palestinienne ont eu pour objectif essentiel de constituer une administration et surtout une police palestinienne supplétives des forces israéliennes d'occupation et collaborant étroitement avec ces dernières. Plus loin dans le débat, pour le même député il s’agira en votant le texte de dire :
oui au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Oui à la paix et à des négociations fondées sur le droit international.
Comment évoquer le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même sans même évoquer le droit au retour des réfugiés, sans même évoquer la mobilisation actuelle des palestiniens dans tous les territoires de la Palestine historique, réaffirmant dans chaque manifestation leur unité aux cris de
nous sommes un même peuple
? La réponse est donnée par le député PS François Loncle, le 2 décembre (jour du vote), lorsqu’il déclare que le texte soumis au vote :
tend à inciter les Palestiniens et les Israéliens à conclure un compromis historique
. Pour les Palestiniens, le compromis demandé est déjà une vieille histoire. Il s’agirait de renoncer au droit au retour et à plus de 80% du territoire historique de la Palestine. Le droit au
retour n’est pas une revendication symbolique. Il exprime l’identité même du peuple palestinien, qui est un peuple de réfugiés, un peuple dont les familles, expulsées de leurs terres ont été brutalement séparées il y a plus de 60 ans. Plus loin dans son argumentation, François Loncle note qu’une pétition lancée par
Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël à Paris, a été signée par plus de 700 personnalités israéliennes. Élie Barnavi atteste que, sans État palestinien, c’est l’avenir même d’Israël qui est compromis.
Encore une fois il s’agit de l’avenir de l’Etat d’Israël.
Défendant la position du l’UMP (droite), Christian Jacob, tout en critiquant l’initiative conjointe du parti socialiste et du parti communiste français assure :
Oui à un État palestinien, mais sans jamais mettre en péril la sécurité d’Israël, que la France a toujours considérée comme un préalable non discutable.
Pour l’écologiste François de Rugy,
Si la présente résolution indique aux Palestiniens qu’une issue politique est possible, elle ne peut se substituer à eux pour conduire ces évolutions nécessaires.
En clair, il s’agit de demander aux palestiniens de renoncer à se défendre contre les exactions de la puissance occupante. Comme si l’occupation militaire de la Palestine, la confiscation des terres l’expulsion continue n’étaient pas à l’origine de la situation actuelle.
Précisant le fond de la résolution, Elisabeth Guigou présidente PS de la commission des Affaires étrangères indique :
Notre pays a été l’un des premiers et plus fervents défenseurs de l’entrée d’Israël dans la communauté des nations. La France n’a jamais ménagé ses efforts pour que soit universellement admis le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité.
Aujourd'hui, comme nous l’avons vu, parce qu'il est confronté à une crise interne sans précédent, parce que ses soutiens traditionnels dans
l'opinion publique
lâchent les uns après les autres, il convient de tout faire pour sauver l'Etat israélien, garant de l'ordre au Moyen Orient, y compris contre lui -même, y compris contre les aspirations démocratiques des populations juives que l’on préfère maintenir dans un rôle d’oppresseur. Derrière les déclarations, la réalité sur le terrain ne tolère pas une telle démagogie. Pour le journaliste franco israélien Charles Enderlin, interrogé le 25 novembre par Télérama :
lorsque je rencontre des dirigeants palestiniens, je leur demande : croyez vous que vous aurez un Etat avec 380 000 colons ? (…) Ils me répondent : “nous savons très bien qu’on aura pas d’Etat, la Cisjordanie est devenue une peau de panthère, il n’est plus possible de créer un Etat qui ait une continuité territoriale
(…) Je n’arrive pas à imaginer que les analystes des chancelleries, en Europe et même aux Etat Unis ne soient pas conscients qu’on évacuera pas 380 000 colons, et pas même 10 000. L’idée de deux Etats est morte ».
A moins qu’il ne s’agisse de constituer un Etat dans les morceaux de territoires administrés par l’Autorité palestinienne et contrôlés par sa police financée et armée par les grandes puissances. On parle du
droit du peuple palestinien à se doter d’un Etat
, mais qu’est ce que le peuple palestinien ?
Le peuple palestinien, spolié depuis 1947 – 1948 est partagé en quatre principales entités : les palestiniens de l’intérieur, que l’on appelle officiellement les arabes israéliens ; les réfugiés, qui sont disséminés dans les dizaines de camps dans plusieurs pays arabes, mais aussi en Cisjordanie et à Gaza ; les habitants des territoires occupés depuis 1967, et les palestiniens de la diaspora. Quel Etat pourrait représenter un tel groupe ? Un Etat constitué d’îlots reliés par des tunnels ? A moins que l’on ne considère pas, à l’Assemblée nationale, le peuple palestinien, tel que nous venons de le décrire comme un seul et même peuple. Peut-on s’attendre à autre chose de la part d’Elisabeth Guigou ou de Laurent Fabius représentant le gouvernement français le plus pro-israélien (c'est à dire soutien inconditionnel de toutes les opérations de répression contre la population palestinienne, à commencer par le massacre de l'été dernier) de toute l'histoire de la Vème République ? De quel peuple parle t-on en évoquant le
droit du peuple palestinien à disposer de lui-même
? La solution des
deux États
est depuis longtemps un cadre qui permet aux gouvernements israéliens de faire retomber l’échec des
négociations
sur les palestiniens, et de poursuivre sa politique de spoliation des terres palestiniennes. C'est aussi, dans
l'esprit des accords d'Oslo
un cadre pour briser l'unité du peuple palestinien, pour l'encamisoler, écraser toute possibilité d'évolution démocratique qui remettrait nécessairement en cause l'ordre établi. Le combat pour l'égalité des droits de toutes les populations qui vivent entre la Méditerranée et le Jourdain est incompatible avec le cadre confiné et carcéral de l'
Etat palestinien
.
Aujourd’hui, Laurent Fabius prend le relais des dirigeants américains et annonce une
relance des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens en vue d’un accord final sous deux ans
, avec la préparation d’une nouvelle conférence internationale. Déjà en 2003, Georges Bush s’était donné deux ans pour aboutir à des négociations sur un statut final. En 2010, Barack Obama annonçait la création d’un État palestinien deux ans plus tard. Le plan proposé par Fabius reprend l’initiative de paix saoudienne de 2002, qui proposait la normalisation des relations entre l’État d’Israël et les pays de la Ligue Arabe en échange d’un retrait israélien des territoires conquis en 1967 et une
solution juste
au problème des réfugiés. L’ancien premier ministre israélien Ehud Barak (qui se ventait d’être l’israélien qui avait le plus de sang palestinien sur les mains), membre comme Fabius de l’Internationale Socialiste, vient d’indiquer qu’il convenait d’explorer ce plan
malgré les difficultés à prévoir dans les négociations avec les palestiniens
. Barak précise que pour lui
Il y aura des hauts et des bas – les palestiniens ne sont pas des interlocuteurs faciles, comme je le sais bien. Des accords intermédiaires peuvent être nécessaires, et même des étapes unilatérales en coordination avec les États-unis et le quartet
. Encore et toujours, avant même de commencer de nouvelles négociations, la messe est dite :
les palestiniens ne sont pas des interlocuteurs faciles
. Une remarque pour conclure. Dans tout le débat parlementaire en France, pas un seul député n'a évoqué la question de la levée du blocus de Gaza, où près de 2 millions de femmes, d'enfants, d'hommes subissent, selon les termes mêmes des agences de l'ONU, une catastrophe humanitaire dans des proportions jamais connues auparavant. Une résolution non contraignante qui reconnaît un Etat palestinien qui n'existera jamais, et derrière laquelle il est aisé de se ranger, ou de manière pratique l'exigence de la levée du blocus de Gaza ? Cette question ne concerne-t-elle pas tout le mouvement ouvrier et démocratique ?