A propos de la grève générale de la faim lancée le 17 avril 2017 par 1 500 prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes
Simon Kramer
Plus de 1500 Palestiniens emprisonnés par l’Etat d’Israël ont entamé une grève de la faim le 17 avril 2017 contre la torture, les mauvais traitements et la négligence médicale dont sont victimes tous les prisonniers Palestiniens. Grève de la faim aussi pour que cesse la
détention administrative
, un internement sans inculpation ni procès et sans limite de temps pratiqué à grande échelle par l’Etat Israélien.
Les prisonniers grévistes de la faim sont de tous les bords politiques et bénéficient du soutien de leurs familles et de leurs proches, tous unis, loin de la polémique et de la surenchère qui voient le Fatah et le Hamas se disputer le leadership supposé de la grève.
Marwan Barghouti et Karim Younes qui ont lancé cette grève de la faim sont un symbole de la lutte du mouvement des prisonniers. Karim Younes est détenu depuis 35 ans. C’est le Palestinien qui aura purgé la plus longue peine ininterrompue dans une prison israélienne. Né à Ara, une ville de l’Etat d’Israël, il a toujours rejeté le chantage, le compromis et la discrimination entre prisonniers des frontières de 1948, de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem, soulignant qu’ils sont tous militants palestiniens et résistent pour la Palestine.
A chaque grève de la faim, les autorités israéliennes se livrent systématiquement à une répression féroce contre les prisonniers grévistes pour tenter de briser leur moral
Dès le début de la grève de la faim, les autorités israéliennes se sont livrées à une répression féroce contre les prisonniers grévistes pour tenter de briser leur moral. Elles ont notamment placé certains d’entre eux en isolement cellulaire, les ont dispersé dans différentes prisons du pays, interdit les visites, confisqué des effets personnels et des vêtements, interdit la télévision, utilisé des chiens policiers à leur encontre.
Le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a donné le ton. Il a déclaré sur son compte Facebook :
En ce qui concerne la grève de la faim des terroristes dans les prisons israéliennes, je prends l’approche de Margaret Thatcher
, faisant référence à l’ancienne Premier ministre britannique qui a fait mourir Bobby Sands et neuf autres grévistes de la faim irlandais en prison, en 1981.
Mais le peuple palestinien s’est dressé pour soutenir ses prisonniers. Des manifestations de solidarité se sont déroulées quotidiennement. Lundi 24 avril au soir, une marche allant de Ramallah en Cisjordanie jusqu’au barrage militaire près de la colonie israélienne de Beit El a vu les jeunes Palestiniens affronter les forces de sécurité israéliennes. La violente répression a fait neuf blessés parmi les jeunes.
Une grève générale a été organisée, jeudi 27 avril, dix jours après le début de la grève de la faim des prisonniers. En Cisjordanie, elle a été sans précédent depuis des années. Dans toutes les villes, les magasins, les boulangeries sont restés fermés et les transports à l’arrêt. Le syndicat des enseignants y a appelé. Dans la bande de Gaza, les institutions publiques, les écoles et les banques sont restées portes closes.
Il est important de replacer ces grèves de la faim dans le contexte de la résistance contre la colonisation, pour un Etat Palestinien sur tous les territoires de la Palestine historique. La résistance palestinienne s’est en partie construite dans les prisons et les prisonniers palestiniens font partie intégrante de la lutte anti-coloniale.
C’est ce qu’a souligné Salah Salah, membre du Conseil national palestinien, responsable de sa commission des réfugiés, le 4 septembre 2016 alors qu’il prenait position pour la libération du militant palestinien Bilal Kayed qui a fait la grève de la faim pendant 71 jours.
L’incarcération massive des Palestiniens est un élément majeur de la politique du sionisme. Selon les organisations Palestiniennes, un million de Palestiniens environ sont passés par les prisons israéliennes depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948 et l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza en 1967. Les accords d’Oslo devaient s’accompagner de la libération massive de prisonniers Palestiniens. Ils étaient 5 000 dans les geôles israéliennes au moment de leur signature. Ils sont aujourd’hui plus de 6 000.
Responsables et défenseurs des droits de l'Homme se sont inquiétés et ont prévenu que la mort de l'un d'eux pourrait mener à une explosion.
La Palestine entière derrière des barreaux
Le 10 mai, les 1500 prisonniers politiques palestiniens en étaient à leur 24e jour de grève de la faim. Le mouvement réunissait des prisonniers appartenant à tous les partis et factions de toute la Palestine : Fatah, Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Jihad islamique, Hamas, Parti du peuple, etc.
Après les mesures de dispersion des grévistes de la faim dans des prisons de tout le pays, d’isolement et d’humiliation, les prisonniers grévistes ont été confrontés à la décision du gouvernement de faire procéder à leur alimentation forcée. Les autorités pénitentiaires israéliennes ont demandé aux hôpitaux de se tenir prêt à recevoir des dizaines de prisonniers dont l’état de santé s’était dégradé. Et comme les associations médicales israéliennes s'opposaient à cette mesure barbare et inhumaine, que la cour suprême de l’Etat d’Israël venait de déclarer légale, les autorités ont envisagé de demander à des médecins étrangers de procéder au gavage.
Le mouvement des prisonniers a publié, le 6 mai 2017, une déclaration appelant à la mobilisation.
« Nous sommes conscients de la gravité de la situation actuelle préparée par
les fascistes du gouvernement de Tel-Aviv. Dans ce contexte, nous demandons :
- Après 20 jours de grève et l'entrée des prisonniers dans une phase dangereuse qui peut être fatale, nous appelons aujourd'hui à une semaine de colère toutes les parties du peuple palestinien, au sein de la patrie et dans l'exil, une semaine au cours de laquelle, dans les villes et villages palestiniens, notre peuple dirigera sa lave et ses volcans de colère sur les lieux de confrontation avec l’occupant. Cela signifie aussi la poursuite des manifestations, des défilés, des sit-in, des marches vers les tentes pour appuyer les prisonniers et assiéger les ambassades de l'occupant partout dans le monde.
- Nous demandons à l'Autorité palestinienne de mettre immédiatement fin à la coordination sécuritaire avec l’occupant. L’heure est à la confrontation nationale et à l'action.
- Nous appelons au lancement par les syndicats de médecins palestiniens et arabes d'une large campagne internationale mettant en garde contre les médecins qui acceptent de participer au crime du gavage des prisonniers.
Gaza est une prison à ciel ouvert. La Cisjordanie, segmentée en différentes zones A, B et C est également une prison
Les dirigeants de l’autorité palestinienne, attachés à poursuivre la coopération sécuritaire avec l’Etat d’Israël, n’ont pas organisé la mobilisation de masse alors que depuis le début de la grève, des manifestations, des marches et des sit-in ont eu lieu quotidiennement à Ramallah, Naplouse, Bethléem, Gaza et dans la plupart des camps de réfugiés.
Gaza est une prison à ciel ouvert. La Cisjordanie, segmentée en différentes zones A, B et C est également une prison avec des centaines de barrages de contrôle militaires, des grilles d’acier, les lourdes fortifications des forces armées israéliennes et le mur d’annexion. Jérusalem-est est coupé de la Cisjordanie et les Palestiniens de Cisjordanie sont coupés les uns des autres. Les Palestiniens des frontières de 1948 vivent l’apartheid quotidien. Les réfugiés palestiniens sont prisonniers dans leurs camps de réfugiés. La Palestine dans son ensemble est placée derrière des barreaux.
Au 36e jour de la grève de la faim
Une semaine avant l’arrivée de Donald Trump à Jérusalem, lundi 22 mai, les médias israéliens ont annoncé que les autorités judiciaires israéliennes avaient entamé des négociations avec les prisonniers palestiniens en grève de la faim depuis le 17 avril. Le quotidien israélien Haaretz du 21 mai s’en est largement fait l’écho. Mais les prisonniers et leurs familles ont dénoncé des rumeurs savamment orchestrées et refusé des négociations d’où leurs leaders, ceux qui ont lancé la grève collective, étaient écartés. Les tentatives des autorités israéliennes sont de
fausses et futiles négociations visant à briser la grève de la faim en échange de promesses creuses
, ont déclaré les prisonniers.
Alors que la santé des grévistes ne cessait de se dégrader et qu’ils étaient déplacés du nord au sud du pays, dispersés et mis à l’isolement, 220 nouveaux prisonniers de tous les partis politiques et factions ont rejoint la grève de la faim, dimanche 21 mai.
Une grève générale en Cisjordanie, à Gaza et dans les territoires de 1948 (l’Etat d’Israël) était appelée, lundi 22 mai, par le comité de soutien aux prisonniers en grève de la faim et appuyée par le Haut comité de suivi des arabes de l’Etat israélien. Elle coïncidait avec l’arrivée du président américain à Jérusalem et sa rencontre, le lendemain, avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à Bethléem.
La grève de la faim a été suspendue au 40e jour
Quarante jours après avoir cessé de s’alimenter, les 1 500 prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes ont conclu un accord partiel avec les autorités israéliennes et suspendu leur grève de la faim.
L’accord comportait 19 points parmi lesquels l’établissement de règles pour les communications téléphoniques avec la famille et les proches (point 1). La levée des restrictions sécuritaires infligées aux familles des prisonniers (point 2). Une visite par mois des familles de Gaza au lieu d'une tous les deux mois (point 3). Des solutions pour les visites de parents du second degré (point 5). L’admission des prisonniers malades de la prison de Ramle au grand hôpital restauré en lieu et place du service sanitaire de la prison (point 7). L’amélioration des conditions d’incarcération dans les prisons de Hasharon, Nafta, Ramleh et al-Bawazat (points 8, 10 et 11). L’amélioration des conditions de transferts des prisonniers (point 12). L’introduction d’équipements sportifs dans les prisons (point 16). Des solutions au problème du surpeuplement carcéral, de la chaleur en été et du froid en hiver (point 17). Le transfert des prisonniers dans des établissements proches des villes et villages de leurs familles (point 19).
Manifestations, blocages routiers et soutien de la population aux prisonniers politiques
La grève de la faim lancée le 17 avril par Marwan Barghouthi, haut cadre du Fatah, et des dirigeants d’autres partis et factions palestiniennes, acte de résistance ultime des prisonniers, a suscité un très large soutien dans les villes et les villages palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et dans les frontières de 1948 (l’Etat d’Israël). Des manifestations et blocages routiers ont souvent donné lieu à des affrontements. Cette mobilisation s’est développée en dehors des cadres de l’Autorité palestinienne. Au 21e jour de leur grève de la faim, les prisonniers lui avaient adressé un message clair :
Nous demandons à l’Autorité palestinienne de mettre immédiatement fin à la coordination sécuritaire avec l’occupant. L’heure est à la confrontation nationale et à l’action
.
La grève générale lancée le jour de l’arrivée du président américain a été très largement suivie. Les magasins et les bâtiments publics sont restés fermés en Cisjordanie, à Gaza et dans les villes arabes de l’Etat d’Israël. En Cisjordanie, des manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles une empreinte de pied avait été dessinée sur le portrait de Donald Trump.
A l’évidence, le gouvernement israélien, comme l’Autorité palestinienne, espéraient que les prisonniers palestiniens arrêtent leur grève de la faim avant l’arrivée de Donald Trump à Jérusalem et à Bethléem. Ce ne fut pas le cas.