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La bulle de l’économie palestinienne

Par Tareq Sadeq, le 1 er septembre 2011

Je n’imaginais pas voir un jour les territoires palestiniens occupés des frontières de 1967, atteindre un taux de croissance économique équivalent à celui de la Chine, avec une progression annoncée de 8% en 2010. Selon les prévisions économiques de la Banque Mondiale, celui-ci atteindra 13% en 2013 ; à tel point que j’ai commencé à considérer que les territoires sous contrôle de l’Autorité palestinienne seraient la  Singapour de Moyen Orient  , ainsi que l’avaient prétendu les artisans des accords d’Oslo dans les années 1990. Il s’est vite avéré qu’il ne s’agissait là que d’illusions, qui ne résistent pas à la fragile réalité de ce qu’est l’Autorité palestinienne : la réalité d’une bulle, qui peut à tout moment éclater. Il a suffi de quelques mois pour que les Palestiniens comprennent que leur direction est dans une crise économique telle, que le gouvernement est en quasi cessation de paiement.

Comment une économie affichant un taux de croissance parmi les plus élevés au monde, peut elle connaître une crise financière sans précédent ? Une telle contradiction ne peut être expliquée qu’à partir de deux hypothèses : ou bien les chiffres sont truqués, ce qui est difficile à vérifier ; ou bien cela est dû à la structure même de cette économie, où l’augmentation des dépenses de l’État conduit à une progression du PIB, mais aussi à l’augmentation du déficit budgétaire.

Comment la politique de Salam Fayyad, conduite pendant quatre ans (2007 – 2011) au nom de l’établissement de l’indépendance / de la souveraineté économique, a-t-elle pu aboutir à un tel fiasco ? Fayyad a annoncé que son gouvernement a réduit de 35%, au cours des deux dernières années, sa dépendance à l’égard des versements extérieurs, et affirmé qu’il était même capable de payer six mois de salaires à ses employés en cas de cessation totale de ces versements. Son optimisme est tel, que Fayyad a prétendu pouvoir se passer de toute  aide extérieure  à l’horizon 2013. Toutes ces proclamations se sont effondrées au moment même où les autorités israéliennes ont annoncé qu’elles cessaient de reverser à l’AP sa part des taxes de douanes. Il est de toute façon à noter qu’en dépit de la croissance économique annoncée, les taux de chômage et de pauvreté n’ont en rien diminué.

Sans doute la première raison de cette fragilité de l’économie palestinienne est-elle l’occupation israélienne, et donc la réalité de l’Autorité palestinienne : dénuée de toute autorité, celle-ci constitue seulement un organe d’exécution de politiques extérieures.

La ville de Ramallah — que l’AP a proclamée  capitale  — représente à elle seule 40% du PIB palestinien. Cependant, l’activité économique qui y domine est celle des restaurants et des bars. Notons que le taux de croissance de la consommation dans ce domaine a augmenté de manière significative entre 2007 et 2010, atteignant par exemple + 24 % en 2008. C’est un indicateur du type de consommation dominante dans la population palestinienne. L’AP est le premier employeur dans le marché du travail palestinien où 20% des travailleurs palestiniens sont employés dans le secteur public. Or, comme la majeure partie des ressources de l’AP proviennent de  pays donateurs  , sa capacité à salarier le cinquième de la population est soumise à la docilité politique et économique du gouvernement vis-à-vis des pays occidentaux. Une illustration claire de ceci est ce que le gouvernement du Hamas puis le gouvernement d’union nationale ont eu à subir en 2006. Ou encore, le fait que la Banque Mondiale et les pays donateurs interviennent dans le choix de la nature, et des financements, de tout projet de développement.

De façon étonnante, le ministre des Finances est également Salam Fayyad, Premier ministre. Les seuls précédents connus à une telle situation se trouvent dans les pays gangrenés par la corruption, où le chef de l’exécutif dispose du pouvoir de décision et de celui de financer les dites décisions. L’absence d’organe législatif — étant donné le conflit existant entre Hamas et Fatah — fournit un terrain propice à différentes formes de corruption. En tout état de cause, le creusement du déficit de l’État conduisant à une situation où l’AP n’est plus en mesure de payer ses employés ni d’honorer ses obligations envers le secteur privé, une situation de cessation de paiement, démontre que les  aides extérieures  même ininterrompues — ne peuvent constituer le fondement d’une solution durable pour l’AP. La crise financière actuelle n’est pas due à un retard de versement des pays donateurs — notamment des pays arabes —, comme le prétend le ministère des Finances. Le financement étranger n’a cessé  de soutenir le budget de Fayyad depuis 2008, et l’aide des pays arabes n’en représente que 20%. La raison principale est que l’AP n’a d’autorité nulle part, pas plus en Cisjordanie, dans les villes de la zones A, qu’à Gaza. La structure du pouvoir de l’AP lui-même est une autre de ces causes : les salaires représentent 58% des dépenses du gouvernement — un des taux les plus élevés au monde —, contre seulement 8% consacrés aux projets de développement. Il convient de constater que 47% de ces salaires sont affectés aux quelques 70 000 personnels de la sécurité, dans les différentes branches du secteur et qu’il s’agit pour eux d’assurer la sécurité sous un régime d’occupation... Une telle proportion donnée au budget sécuritaire a pour objet de répondre à l’exigence des Etats-Unis — et des services de sécurité israéliens : il faut s’assurer de contrôler et maîtriser toute mobilisation des masses palestiniennes. Dans le même temps, les dépenses pour les secteurs de la santé ou l’éducation ne dépassent pas 5% du budget.

Une telle structure de l’AP a conduit à faire du citoyen palestinien vivant dans les territoires occupés des frontières de 1967, seulement le consommateur de produit israéliens, otage des intérêts du marché israélien, du financement extérieur, et de l’appréciation par les donateurs, de la politique palestinienne. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que l’AP soit en pleine crise financière : elle ne sert qu’à financer des consommateurs palestiniens sans aucune production propre.

La corruption, d’autre part, continue à se répandre dans les organes et ministères palestiniens, tout autant sous le gouvernement Fayyad que sous celui du Hamas, mais dans les deux cas sous une forme différente qu’à l’époque d’Arafat (alors largement critiqué par les occidentaux). Il s’agit aujourd’hui d’une corruption structurée passant par différentes formes de blanchiment d’argent, ainsi que l’ont montré récemment les accusations portées contre Mohamed Dahlan (ancien ministre, et membre du comité central du Fatah), mais qui ne constituent qu’une infime partie émergée de l’iceberg.

Il peut d’ailleurs sembler paradoxal que la Banque Mondiale soutienne la capacité de l’AP à constituer un  État  , et se félicite de la transparence de l’AP, tandis qu’un de ses propres indicateurs, (l’Indice de contrôle de la corruption) souligne la détérioration de la lutte de l’AP contre la corruption depuis 2008, c’est-à-dire dans les début du gouvernement de Salam Fayyad.

La croissance du PIB ne peut être considérée comme un indice de développement économique, étant donné que c’est la consommation qui structure l’économie. Le taux de croissance peut subir une baisse, du simple fait d’un retard — pour des raisons politiques — de versement d’une donation. Cette structure économique imposée par Israël et les pays donateurs, vise délibérément à soumettre toute la vie des Palestiniens et donc l’économie palestinienne, au chantage politique permanent. Vouloir le bien du peuple palestinien passerait par lui permettre de développer et consommer ses propres productions ; à l’inverse, si l’objectif est de le garder sous contrôle extérieur, point n’est besoin d’une réelle économie en capacité propre de financement.

Israël a réussi à créer le cadre politique de cette situation, via les différents accords signés, avec l’OLP ou l’AP. Les accords d’Oslo et la convention économique de Paris, ont fortement limité pour l’AP toute possibilité de changer de cap politique, ou de développer les moyens de compter sur ses propres ressources : les Palestiniens n’ont par exemple pas le droit de fixer une taxation douanière différente de la taxation israélienne, ils ne peuvent pas non plus percevoir directement des droits de douane, mais seulement attendre le bon vouloir d’Israël qui prélève les droits et reverse — à son gré — sa part à l’AP, en lui taxant 3% au passage. L’AP ne peut monter aucun projet de développement en dehors des zones placées sous son contrôle en Cisjordanie. Elle n’a pas, non plus, la possibilité de modifier, dans son budget, la part affectée à la  sécurité  — laquelle est directement décidée par Israël et les pays donateurs.

La politique de l’AP, notamment durant les quatre dernières années sous la houlette de Fayyad, n’a apporté aucune progression de l’économie palestinienne vers son indépendance. Bien au contraire, elle a aggravé la situation, car cette économie a été resserrée autour de la seule consommation, rendue de plus en plus vulnérable aux pressions extérieures. Cette dépendance à la continuité des donations a été visible dans la grande insistance mise par Mahmoud Abbas pour conserver Salam Fayyad à la tête du gouvernement d’union nationale avec le Hamas, pour que les aides externes ne soient pas suspendues. Bref, l’AP a plus que jamais pour fonction de gérer une situation conforme aux exigences américaines et israéliennes.

Aucune issue à la crise économique actuelle n’est à attendre de la politique gouvernementale. Si l’AP veut vraiment engager une croissance économique réelle, elle doit permettre aux Palestiniens de produire ce qu’ils consomment. Mais tant que son rôle restera celui d’administrer les territoires au compte d’intérêts étrangers contraires aux besoins économiques et politiques des Palestiniens, aucun pas en ce sens ne sera possible.

Dans une situation d’occupation, il est naturel de résister et combattre l’occupation jusqu’à sa suppression, pour que le peuple obtienne tous ses droits politiques, et l’égalité civique de tous les citoyens. Par conséquent, l’existence d’une Autorité  autonome  à l’ombre de l’occupation ne peut être considérée comme normale, d’autant moins que la  solution des deux États  ne peut, ainsi qu’en ont conscience la plupart des Palestiniens, en rien garantir justice sociale et égalité pour le peuple palestinien.

Si les dirigeants palestiniens sont conscients de la situation, ils doivent libérer le peuple palestinien de la farce des accords d’Oslo et de l’Autorité chargée de les mettre en œuvre.

Tareq Sadeq enseigne l’économie à l’Université de Birzeit en Palestine.

From DIALOGUE REVIEW ( www.dialogue-review.com )